2.2.2 Les convergences et divergences entre le roman de Flaubert et le roman-graphique de Simmonds.



      Nous sont donc présentées ici deux histoires contenant beaucoup de similitudes avec malgré tout certaines divergences.
     Parmi les convergences entre ces œuvres, nous pouvons noter que le lieu est le même. Bien qu'au début de l'action dans la bande-dessinée les protagonistes étaient à Londres, ils viennent tous de même emménager en Normandie. De plus, chaque femme dans son contexte pense qu'en arrivant sur ces lieux sa vie prendra un rythme palpitant. Or, malgré leurs rêves pleins la tête, elles sont bien obligées de reconnaître que leur vision idyllique de leurs villes normande est très éloignée de la réalité.
     Nous pouvons voir également les ressemblances des noms entre Gemma Bovery et Emma Bovary qui rappelle donc un personnage du XIXème siècle, vivant en province et rêvant d'émancipation et de vie palpitante. Dans la bande-dessinée que nous propose Posy Simmonds, nous retrouvons cette femme qui se sent égarée voire même abandonnée et qui ne trouve satisfaction que par le biais de relations infidèles à son mari mais dans un contexte plus moderne. Ces jeunes femmes passionnées peinent à trouver leur bonheur, et s'investissent toujours beaucoup émotionnellement. Lorsqu'elle vivait à Londres, Gemma travaillait comme illustratrice de magazine, mais ne continue pas longtemps cet emploi. Emma Bovary aime elle aussi les arts comme la peinture qu'elle pratique parfois. Aucune n'est réellement maternelle ; Emma tombe enceinte comme si cela était un devoir plutôt qu'un désir, et ne s'occupe jamais vraiment de sa fille, qu'elle repousse même souvent physiquement, jusqu'à la faire tomber. Gemma s'occupe des enfants de Charlie pour se faire intégrer dans cette famille, elle fait des efforts mais pas par sentiment ni affection. Plus tard, elle souhaitera un enfant tout de même avec l'un de ses amants, mais elle ne l'exprime pas avec conviction ni beaucoup de volonté. Son mari, Charlie Bovery ressemble de même à Charles Bovary sur plusieurs points, commençant par son nom lui aussi. Son travail, restaurateur de meubles et d'objets, n'est pas particulièrement passionnant mais ne s'en plaint pas et il lui permet d'arrondir les fins de mois: comme Charles chez Flaubert, il consacre beaucoup de temps à son labeur sans pour autant gagner beaucoup d'argent. Nous pouvons assimiler les deux œuvres également au thème des dettes qui est repris à chaque fois ; Emma se permet de s'offrir des meubles, de la décoration et des vêtements jusqu'à ne plus pouvoir rembourser ses prêts et de devoir se faire saisir tous ses biens. Gemma, elle non plus ne sait pas gérer son argent, elle et son mari ont des factures de gaz et de téléphone qu'ils accumulent dangereusement. La mère d’Hervé la menace même de poursuites judiciaires, à propos d'une statuette qu'elle pensait faire réparer par son mari mais qu'elle égare maladroitement. Gemma avoue elle-même « qu'elle a tout le monde sur le dos », ce qui nous rapproche d'Emma et de sa situation avant sa mort. Charlie est comme Charles, un mari peu exigeant envers sa femme, il est satisfait de sa vie, de sa maison et de son travail. Il est souvent absent pour s'occuper de ses enfants en Angleterre, ce qui laisse à Gemma la possibilité de s'échapper avec d'autres hommes, comme le fait Emma. Les amants de Gemma, Hervé et Patrick sont les reproductions des deux amants de Emma, Léon et Rodolphe ; toutes deux succombent à deux hommes en particulier. Pour chacune, l'une de leur relation s'achèvera par une lettre qui les blessera infiniment. Raymond Joubert a lui aussi un personnage qui lui ressemble dans sa personnalité ; c'est Justin dans Madame Bovary, l'assistant du pharmacien Mr Homais. Ils jouent un rôle essentiel chacun dans leur récit. Justin est sincèrement amoureux d’Emma, comme l'est Charles. Évidemment, de la même manière que son mari, elle ne le remarque pas bien qu'ils se rencontrent souvent, parfois même dans des lieux personnels comme la chambre d’Emma. Peu de personnes pleurent la mort de cette femme, et pourtant Justin pleurerait toutes les larmes de son être pour la ramener à la vie, il pleure de douleur et de culpabilité car c'est lui qui lui a montré où se trouvait l'arsenic dans la pharmacie avec laquelle elle s'est suicidée. Justin est sur sa tombe, le cœur plein d'un « regret immense plus doux que la lune et plus insondable que la nuit ». Raymond aussi aime Gemma d'un amour sincère et profond, et elle aura beau le rencontrer maintes fois dans sa boulangerie, elle ne se rendra jamais compte avec quel sentiment il la regarde. Ils auront pourtant quelques contacts courtois et aimables ; Raymond dîne chez elle, l'aide à rédiger une lettre … Il la surprend également dans des moments intimes d'adultères, qu'il observe de l'extérieur. Lui aussi sera rongé d'une culpabilité immense quant à la mort de celle qu'il aime car c'est avec son pain qu'elle s'étouffe. Il sera inconsolable et ne pourra contenir son chagrin, il pleurera longtemps à chaudes larmes. Ils sont comme invisible à leurs yeux.
Parmi les personnages secondaires de la bande-dessinée comme les voisins anglais de Gemma, nous pouvons reconnaître tout de même les voisins d'Emma, qui sont curieux et voudraient tout savoir, lorsqu'elle emménage à Yonville-l'Abbaye. Une femme autoritaire et précieuse sur la bonne conduite apparaît dans le roman graphique ; c'est la mère de Hervé, qui peut créer une symétrie avec la mère de Charles dans le roman de Flaubert. En effet, elle ne souhaite pas que son fils s'éloigne de ses études à cause d'une amourette de passage, et madame Bovary mère trouve qu'Emma ne répond pas aux attentes d'une femme de son siècle.
     Ainsi, nous retrouvons pour chaque personnage principal son double dans les deux œuvres Gemma Bovery et Madame Bovary.
     Les relations entre les personnages sont comme un puzzle, ils ont tous un lien avec l'héroïne ce qui donne de la complexité à l'ouvrage. En effet, Gemma est marié avec Charlie, elle a aussi deux amants en aillant d'abord une liaison avec Hervé puis avec Patrick. Hervé est en couple avec une jeune femme de son âge qui vit sur Paris mais qui sent tout de même la présence d'une autre femme dans le quotidien de son compagnon. Il entretient une relation avec sa mère qui le restreint beaucoup ; elle l'envoie en Normandie pour qu'il se concentre sur ses études, puis lui interdit de côtoyer Gemma … Patrick lui, vient de quitter sa femme avec qui il a un enfant. Charlie garde toujours contact avec son ex-épouse, Judi, car ils ont deux enfants ensemble, Justin et Dalia. Judi n'apprécie pas Gemma par sa façon de s'être imposée dans la vie de Charlie et ses enfants. Raymond est le voisin de Gemma et de Charlie, il est marié avec Martine mais est très attiré par Gemma. Après sa mort, lui et Charlie se rapproche, car Raymond souhaite le consoler autant qu'il peut mais il se sent hypocrite envers lui. Parfois, les familles de Gemma et Raymond se retrouvaient tous autours d'un repas par politesse, accompagnés des voisins anglais. Comme dans l'œuvre romantique, l'héroïne est comme une planète autour de laquelle tourne des satellites.
     Ainsi, les reflets et les parallèles des deux personnages sont évidents. Cet ouvrage est en symétrie avec le roman du XIXème siècle dans des temps plus modernes, et les comportements nous étonnent moins venant d'une femme d'aujourd'hui. En effet, Posy Simmonds a volontairement retranscrit la vie de Emma Bovary dans un contexte plus contemporain, en faisant de son roman graphique le pendant de l'œuvre de Flaubert. L'héroïne Emma est une femme moderne bien qu'elle n'ait pas renié les normes convenues aux femmes de sa génération, comme par exemple l'éducation au couvent. Mais, cette rêveuse ne veut pas s'empêcher de céder à l'émancipation de sa personne dans la société. Gemma Bovery rêve elle aussi, et ses liaisons avec ses amants ne nous surprennent pas autant que celles d'Emma : il est vrai que l'adultère est devenu un fait plus courant au fil du temps, bien qu'il ne soit pas mieux perçu pour les femmes. Posy Simmonds ne reprend pas l'image d'Emma dans son roman graphique pour rendre hommage à Flaubert, mais pour retravailler des trais de caractère d'une femme intemporelle dans un contexte légèrement différent et s'amuse à, grâce à son dessin, nous arrêter sur des faits qu'elle considère important. Elle désire nous faire voir cette femme comme si ses croquis étaient un film, en nous décrivant des vies quotidiennes de modestes bourgeois qui n'attendent que plaisir et bonheur.